lundi 4 juin 2012

Prometheus

Ridley Scott l'affirme depuis toujours : tourner une suite à l'un de ses films ne l'intéresse pas. De fait, malgré quelques copieux succès à son actif, il se refuse à l'appel du revenez-y. Au point de bâtir au fil du temps une filmographie, certes, très inégale, mais d'un éclectisme certain : les genres eux-mêmes y sont rarement visités plusieurs fois. Et même si son Hannibal est bien une sequel, il fait suite à un Silence des Agneaux signé Jonathan Demme : il ne s'agit donc pas de réaliser du Ridley Scott 2.0.

Première véritable concession à cette certitude que "ce qui est fait n'est plus à refaire" le remaniement de son Blade Runner en 1997. La version sortie en 1981 avait en effet subi des modifications importantes de la part de la production. Blade Runner ayant accédé entre temps au rang de chef-d’œuvre, Scott peut se permettre de remettre son film d'aplomb. Mais lorsque la Fox lui demande de retoucher également Alien pour sortir un "director's cut" opportuniste surfant sur la mode du supplément bidon, Scott commence par refuser. Pas question de réinjecter la fameuse scène dite "des cocons" juste pour réaliser le fantasme d'une génération de fans. Mais la major hollywoodienne est intraitable : Alien tripatouillé se fera avec ou sans lui. Scott cède tout en reconnaissant le faire pour l'argent et parce qu'il préfère que ce soit lui plutôt qu'un autre. Contrairement à Blade Runner, ce nouveau montage ne présente aucun intérêt. Pire : en brisant la fluidité de la dernière partie du film, la réintégration de la scène "mythique" prouve à quel point il est essentiel de la laisser à la poubelle. C'est dire si vendre cette mouture comme une volonté de l'auteur au profit de l'intégrité de l’œuvre tient du révisionnisme créatif. Ironie de l'Histoire : une joute de même nature présidera à l'existence de Prometheus.

Après les affligeants Alien Vs Predator 1 et 2,  la Fox décide de confier la production de la franchise à Scott Free, la firme créée et dirigée par Ridley Scott et son frère Tony. Ce qui semble de prime abord une excellente idée se révèle un feuilleton de quatre ans où priment les rapports de force. Les nouveaux partenaires annoncent rapidement leur intention de mettre en chantier le prochain opus en revenant aux sources de la saga. Même si aucun script n'est encore écrit, on apprend que l'histoire se déroulera avant le premier film. Exit donc l'emblématique Ripley incarnée par Sigourney Weaver. Le concept est risqué mais depuis le grotesque Alien Résurrection, on sait que la présence du personnage n'est en rien un gage de qualité.

Peu à peu, les ingrédients divulgués se font plus inquiétants : notamment l'accent mis sur le monde dont est issue la créature aux commandes du vaisseau extra-terrestre découvert dans le film originel. Sorti de l'imagination du peintre Giger, le fameux "space jockey" fut conçu comme une sculpture fossilisée sans se soucier de réalisme anatomique. La perspective de voir évoluer des foules de ces E.T. remaniés par n'importe quel production designer laissait craindre le pire. Avec raison on le verra. Pour l'heure on croise les doigts : Ridley est là, et s'il y a bien un domaine où il excelle c'est celui des choix esthétiques.

Seulement voilà, Ridley n'y est plus : fidèle à son manque d'intérêt pour les suites, il annonce que le projet sera conduit par un obscur réalisateur allemand auteur de courts-métrages, se trouvant être le petit ami de sa fille. On a vu CV plus excitant. On passe donc de l'inquiétude à l'épouvante, la Fox aussi :  pas question que Ridley se dérobe et avec lui le principal argument marketing légitimant le redémarrage de la série. Mais Scott tient bon et le projet disparaît quelque temps des radars.

La Fox sort alors une nouvelle fois sa massue argumentaire : si Ridley Scott ne réalise pas le film, sa société Scott Free se verra retirer l'exploitation de la franchise Alien. Et ça marche à nouveau : Scott revient aux commandes. En tant que futur spectateur, c'est peu dire que l'enthousiasme premier s'en trouve refroidi. Concevoir et surtout réussir la suite d'un film extraordinaire n'est jamais chose aisée, en imaginer un cinquième avatar relève carrément de l'exploit. Mais si le maître d’œuvre s'y colle à regret, les chances de succès deviennent infimes.

Au fil du temps la prequel officielle d'Alien laisse place à un machin hybride qui semble concilier la non-envie de Scott à la nécessité contractuelle d'en faire un film de la saga. La fuite d'un synopsis construit de bric et de broc annonce un brouet mystico-kitch de la pire espèce. L'arrivée du scénariste de l'improbable Cowboys et Envahisseurs ne rassure pas davantage. Comme pour conjurer le sort, les éléments de langage marketing pilonnent sur le thème du scénario brillant. La découverte de la bande-annonce n'est résolument pas de bon augure : casting de top models, imagerie quelconque et surtout cet insupportable quizz vendeur de souvenirs directs ou détournés (ah ces œufs-mais-pas-tout-à-fait). Mais on veut y croire tout de même, la catastrophe n'est jamais sûre et la promesse est belle. C'est peu dire qu'elle n'est pas tenue.

Expédions les éléments évidents d'un désastre annoncé : le scénario est bel et bien d'une insondable platitude. Incohérent, écrit au fil de la plume pour remplir le vide entre les pataudes références au film original,  l'intrigue s'écoule sans tension, sans enjeux, sans aucune surprise et de manière pas toujours très claire. Chaque rebondissement est téléphoné ou stupide, les personnages sont inconsistants et les motivations confondantes de bêtise. Lestée par un "propos" mystico-philosophique bien pensant écrit par ordinateur et soulignée par une musique mélo, l'histoire oscille entre l'eau tiède et le comique involontaire tant le comportement des protagonistes semble souvent incongru : deux scientifiques égarés aux agissements de débiles mentaux, la décontraction ahurissante de l'équipe face à l'inconnu, la soirée "sexy" en tongs et kimono de lin, les acrobaties de l'héroïne fraîchement opérée, l'irruption d'un zombie bondissant, le suicide au lance-flamme, l'explication subite du commandant, un "humour" ponctuel qui vient comme un cheveux sur la soupe. Et la liste est loin d'être exhaustive.

Les comédiens n'aident pas à faire passer la pilule : hormis Michael Fassbender qui esquisse un personnage intéressant mais jamais exploité, la fadeur de ses collègues est immense : Noomi Rapace fait le job sans brio, Logan Marshall-Green semble sortir d'une pub Diesel, quant aux autres, ils n'existent pas. Une mention pour Charlize Theron parcourant le décor à grands pas de top model, surjouant une executive woman glaciale comme on n'en voit plus depuis les pubs l'Oreal des années 90. Guy Pearce lui, peine à faire passer quelques émotions à travers un maquillage calamiteux, option d'autant plus stupide qu'elle est parfaitement inutile. Y aurait-il pénurie d'acteurs âgés ?

Côté esthétique,  ce n'est pas mieux. À l'image du film tout entier, Scott aligne paresseusement allusions lourdingues et déjà-vu plan plan. Le décorum humain n'est jamais choquant mais désespérément standard : on cherche en vain la moindre invention ou originalité visuelle ou, à défaut, un soupçon de réédition inspirée. Au lieu de quoi on y manipule des fenêtres holographiques comme dans n'importe quel action movie techno. Côté tumulus extra-terrestre, c'est nettement plus grave : la reprise de l'univers Gigerien est affreusement mal digérée, grossière même : de vilains décors sans âme, tout en grosses nouilles grises. En guise de clou du spectacle, la salle de commande avec sa flûte saugrenue, ses boutons mous et son insignifiant planétarium piloté par un space jockey télescopique frôle le mauvais goût et, disons-le, un colossal je-m'en-foutisme. Les extra-terrestres albinos et bodybuildés sont hors charte mais on remercie néanmoins les auteurs de nous avoir épargné leurs cavalcades en "combinaison" : ce que l'on voit de leur cadavre est tout simplement indigent.

Et les méchants xénomorphes alors ? Parce qu'il y en a évidemment, cahier des charges oblige. C'est d'ailleurs le seul élément qui n'est pas déjà visible dans une bande-annonce éventant consciencieusement les maigres effets de surprise potentiels. Vous aimez les faux œufs en forme de jarre ? Vous adorerez le pseudo face hugger façon calmar. Le film s'achève en apothéose avec l'apparition d'un Alien like aussi moche et mal foutu que celui du non moins mémorable hybride clôturant  Alien Résurrection.
 
Au final, ce Prometheus qui prétend pompeusement ouvrir une nouvelle saga n'est qu'un film bâclé et faussement ambitieux, un concept creux de pur marketing à l'image de cette récente prequel The Thing en forme de clone absurde. C'est-à-dire tout ce que James Cameron et David Fincher avait évité avec leur vision de l'univers Alien. Malgré des contraintes de productions identiques, Aliens, le Retour et Alien 3 avaient su inventer chacun un style très personnel qui fait encore référence dans le cinéma d'aujourd'hui. Enrichis d'une esthétique puissante et inspirée, d'ambiances cohérentes et fortes, les deux suites développaient pour le meilleur un premier film à la structure simple mais d'une créativité infinie. Ici ne demeurent que le cynisme et un savoir-faire stérile réduit à son strict minimum dont assurément personne jamais ne s'inspirera. Réalisé par un tâcheron anonyme, Prometheus ne serait qu'une soupe insignifiante. Porté par Ridley Scott, c'est une honte.

dimanche 21 août 2011

Super 8

1979 : une petite communauté américaine pur jus, des gamins à vélo qui font des conneries, les parents un peu largués, un alien, des éclairages bleus, une louche de mélo, une musique qui symphonise… Ça ne vous rappelle rien ? Si ? Normal, c'est fait exprès. À l'heure d'un revival eighties qui s'éternise, J.J. Abrams entend "rendre hommage" au réalisateur-producteur emblématique de cette décennie : Sa Majesté Steven Spielberg. Au passage, le réalisateur du récent Star Trek ne se mouche pas du coude et fait carrément produire son petit compliment par le maître lui-même.

Durant les années 80, suite au succès colossal de E.T. qui lui-même faisait écho à son prodigieux Rencontres du 3e Type, Spielberg décline sa formule magique en tant que producteur. Confiant des budgets raisonnables à des cinéastes inspirés qui revisitent les thèmes du ciné de genre de leur enfance (hé oui, déjà), Onc' Steven produit une floppée de "petits films" presque tous passés à la postérité : Poltergeist, Gremlins, Retour vers le Futur, L'Aventure Intérieure, Miracle sur la 8eme Rue, le Secret de la Pyramide, Les Goonies, etc. Liste non exhaustive à laquelle il convient d'ajouter Explorers et Cocoon, deux productions nettement plus onéreuses non initiées par Spielberg* mais qui reprennent parfaitement l'esprit de sa dreamteam : scénarios malins et toniques confrontant des personnages de la middle class à un imaginaire protéiforme selon les films, mise scène léchée et effets spéciaux d'avant-garde signés ILM forment un cocktail unique qui émerveille toute une génération. En l’occurrence celle du réalisateur de Super 8.

Mais J.J. Abrams aurait dû s'inspirer plus finement de son idole pour exécuter sa révérence. Car si E.T. et quelques autres productions Amblin sont teintées de nostalgie enfantine, les auteurs ont l'intelligence de l'intégrer harmonieusement dans des films bien ancrés dans leur époque. Et lorsque Spielberg entreprend Les Aventuriers de l'Arche Perdue en forme d'hommage à une période et un genre, il brasse une multitude d'inspirations au point de les rendre indiscernables. Surtout, il y ajoute son talent et son imaginaire pour créer son propre style qui dépasse largement le modèle.

Or en accumulant autant de gimmicks intimement liés à l'univers d'un autre cinéaste - voire à un film en particulier -, J.J. Abrams n'offre qu'une étrange nostalgie par procuration. Pire : il fait du concept rétro le cœur du projet. Un parti pris non seulement superficiel, mais surtout inutile à l'intrigue. Au point où si l'on ne savait pas le cinéaste sincère dans son admiration pour Spielberg, on pourrait accuser Super 8 de n'être qu'un cynique calcul commercial ciblant toute une génération de vieux cons spleenétiques.

Bien sûr, en bon faiseur, Abrams atteint parfois son but : le film se regarde sans ennui, les jeunes comédiens sont épatants, le regard sur ces cinéastes en herbe est parfois drôle et non exempt d'émotion. Mais en restant planqué derrière sa photocopieuse, incapable de s'affirmer ou d'apporter une touche personnelle, le réalisateur s'expose bêtement à une comparaison permanente et surtout cruelle puisque largement en sa défaveur : histoire désespérément banale, rebondissements paresseux, photographie médiocre, mise en scène fonctionnelle et musique au kilomètre. Même du côté des effets spéciaux la surprise n'est pas au rendez-vous. C'est dire si l'on est loin du compte.

Bref, même sous l'angle de la nostalgie, Super 8 relève davantage de la pâtisserie industrielle que de la savoureuse madeleine de Proust. Car J.J. Abrams oublie l'essentiel des films auxquels il se réfère : une identité propre et un soucis d'innovation hissant la série B fantastique à un niveau rarement atteint, changeant pour longtemps la manière d'envisager un certain cinéma. Rien de tel ici.


* Explorers est signé Joe Dante pour qui Spielberg produisit Gremlins 1 et 2, l'Aventure Intérieure et un segment de la Quatrième Dimension. Le projet lui fut proposé par Jeffrey Katzenberg qui fondera plus tard Dreamworks avec David Geffen et... Steven Spielberg. C'est dire si l'on reste dans le même cercle d'inspiration...

mercredi 20 avril 2011

Harry Potter et Les Reliques de la Mort (1)

Après la vertigineuse dégringolade qualitative des deux derniers chapitres parfumés à la guimauve et pilonnés par un David Yates incapable de livrer autre chose que de longs bout à bouts poussifs et sans âme, cette première partie des Reliques de la Mort relève de la bonne surprise. On ne s'y ennuie pas à mourir comme dans L'Ordre du Phoenix et surtout Le Prince de Sang-mêlé : sur 2h20 c'est déjà un gros progrès. Plus surprenant encore, David Yates livre une réalisation soignée, presque inspirée (!) qui parvient, pour la première fois, à contrebalancer les faiblesses du récit.

Car en dépit des apparences - et de la promo -, tout ceci demeure toujours très léger, en particulier dans la manière d'enchaîner les événements à coup d'illuminations subites, de visions commodes et de hasard capillotracté. Un récit où la magie permet à peu près tout mais où il faut courir dans les bois quand on est poursuivi et plonger dans l'eau glacée pour aller chercher un truc. Tant qu'il s'agissait d'une intrigue trépidante et d'un spectacle flamboyant, ces facilités relevaient d'une naïveté bonne enfant. Mais dès lors que l'on prétend au "sérieux" via une darkitude ici (très) appuyée et quelques thèmes dits "adultes" afin d'y gagner en crédibilité, cette paresse devient difficilement pardonnable. D'aucun y trouveront un souci de mélanger les genres ; j'y vois plutôt un cruel manque de rigueur et d'inspiration.

C'est d'autant plus regrettable que quelques belles idées de fond et de forme enrichissent ces Reliques : la prise de pouvoir des méchants sorciers est l'occasion de traiter de l'obsession de la pureté raciale et de la haine du métissage. C'est plutôt habilement tourné et surtout inattendu dans un univers de Fantasy d'ordinaire très friand de "sang pur" et de lignées royales. Le thème était déjà présent au début de la saga mais J.K. Rowling va ici un peu plus loin, entretenant ainsi l'une des singularités de son univers qui utilise une structure classique sans tomber dans les idéologies moisies chères à une certaine littérature jeunesse. Autre idée judicieuse : abandonner la consternante "évolution" soap qui rendait le précédent film indigeste jusqu'au ridicule. Cette fois les sentiments sont présents comme ils l'étaient dans La Coupe de Feu : à dose raisonnable. OUF !

Sur la forme, outre une introduction pleine de souffle qui rappelle les meilleures heures de la série et une surprenante séquence animée de toute beauté, David Yates adapte enfin sa mise en scène au propos. Sans réussir vraiment à provoquer l'émotion quand il le faudrait – ça semble décidément au-dessus de ses forces – il parvient tout de même à créer de véritables ambiances, un climat qui imprègnent peu à peu le spectateur. Une très belle direction artistique homogène et joliment cadrée, enluminée avec talent par Eduardo Serra et accompagnée par la musique d'Alexandre Desplat donne à l'ensemble une belle cohérence formelle qui compense les aspects quelque peu heurtés et pas toujours très clairs de l'intrigue pour qui n'a pas le livre sur les genoux durant la projection.

Et même si la main est lourde pour tenter d'altérer à coup de cernes la bonne mine du jeune trio de comédiens, même si la plus grande partie du film se résume à une randonnée un tantinet répétitive - qui a le mérite de nous sortir du sempiternel décor gothique de Hogwarts -, le tout n'est décidément pas sans charme ni intérêt. Certes, l'on n'atteint pas l'alchimie bien balancée et évolutive des opus ouvrants la saga, mais cette première partie du chapitre final retrouve une certaine dignité et surtout donne envie de découvrir la suite : on n'en espérait pas tant ! David Yates parviendra-t-il à ajouter l'énergie et l'émotion aux louables efforts produits ici ? Une chose est sûre : avec l'ultime volet, on ne pourra pas nous refaire le coup de "l'épisode de transition" pour justifier les errances des auteurs.

samedi 2 avril 2011

La Disparition d'Alice Creed

Ça vous fait envie le premier film du scénariste de The Descent 2, tourné en vidéo HD avec un budget famélique ? Non ? Vous avez tort car cette Disparition est un petit bijou de cinéma de genre, méticuleusement réalisé sur une intrigue qui manie le rebondissement avec une réjouissante efficacité. Le tout avec seulement 3 personnages et un appartement (ou presque), on a envie de se lever pour applaudir ce petit-cousin teigneux du Limier ou de Piège Mortel.

Par égard pour le futur spectateur, il est préférable d'éviter l'évocation trop précise de cette histoire qui fonctionne beaucoup sur l'effet de surprise. Tout juste peut-on exposer le point de départ : 2 voyous préparent l'enlèvement de la fille d'un homme richissime afin d'obtenir une rançon. Ils mettent en œuvre un plan millimétré à mi-chemin entre l'expédition scientifique et le commando militaire : tout est prévu même le menu des repas, chaque geste est déterminé à l'avance, chaque étape s'imbrique à la perfection dans la suivante. Et puis évidemment l'imprévu surgit. Quoique…

Outre son scénario malin et jubilatoire, J. Blackeson signe là un premier film d'une remarquable maturité formelle : pas de place ici pour les grosses ficelles du cinéma fauché où l'on fait paresseusement trembler la caméra "pour faire vrai". Avec la même minutie qu'à l'écriture, le jeune cinéaste soigne chaque plan sans jamais sombrer dans une virtuosité affectée : tout y est limpide, fluide et parfaitement à sa place. Même la longue introduction muette évite l'effet gratuit tant elle est parfaitement en adéquation avec ce qui s'y déroule. La lumière suit la même logique : à la fois pure et discrète, elle enveloppe au mieux une image vidéo qui sait se faire oublier grâce notamment au superbe cadre en 2:35.

Avec un trio de comédiens qui fait figure de cerise sur un gâteau décidément savoureux, Blackeson montre qu'il est aussi un excellent directeur d'acteurs. Eddie Marsan campe un kidnappeur flippant par son obsession glaciale du moindre détail. On a peine à reconnaître le petit inspecteur Lestrade du Sherlock Holmes de Guy Ritchie.
En parvenant à insuffler une énergie folle à un personnage de victime pour le moins ingrat, Gemma Arterton montre qu'elle vaut infiniment mieux que les emplois ineptes auxquels elle est abonnée (Quantum of Solace, Le Choc des Titans, Prince of Persia, bientôt La Momie 4 !). Dans un rôle moins expressif, Martin Compston peine parfois à rivaliser avec ses partenaires, mais peu importe : l'alchimie fonctionne à plein et le trio promène impeccablement le spectateur du début à la fin.

Le magazine Variety classe en 2010 J. Blackeson parmi les 10 réalisateurs à suivre. En effet, après ce coup d'essai en forme de thriller économe et roboratif qui ne joue jamais la carte du clin d'œil référentiel ou du pré-formatage "culte", on attend avec une certaine gourmandise la prochaine œuvre de ce jeune auteur britannique dont l'irruption inattendue n'est pas sans rappeler celle de Danny Boyle. On lui souhaite le même succès.

jeudi 24 mars 2011

Elizabeth Taylor (1932 - 2011)

Elizabeth Rosemond Taylor est morte à l'âge de 79 ans. Ce n'est pas un drame au-delà de ses proches, mais c'est un événement pour tout cinéphile, une page qui se tourne dans l'Histoire du 7e Art et l'épilogue d'un certain Hollywood dit "mythique".

À l'âge où l'on se fiche éperdument des génériques et où l'on ne fréquente les salles obscures qu'à l'occasion d'un Disney, son nom fut l'un des repères qui me permit de m'orienter dans un univers cinématographique encore flou et vertigineux. La diffusion télévisée du monumental - et sous-estimé - Cléopâtre de Joseph L.Mankiewicz fut l'un des déclics qui m'incita à pister qui faisait quoi derrière ces images flamboyantes. Par la suite, les noms du réalisateur et de l'actrice à nouveau réunis attirèrent mon attention : il s'agissait de Soudain l'Ete Dernier. J'aurais pu être déconcerté par le gouffre séparant l'austère adaptation de Tennessee Williams de la fastueuse superproduction antique : cela m'éveilla au contraire à l'infinie diversité du 7e Art.

Plus tard, lors de la fréquentation assidue des ciné-clubs, il me semblait que son nom ne quittait jamais l'affiche bien longtemps : Qui a Peur de Virginia Wolf, Une Place au Soleil, Boom, Reflets dans un Œil d'Or, La Mégère Apprivoisée, Une Chatte sur un Toit Brûlant, Géant... me faisaient découvrir au passage Mike Nichols, George Stevens, Joseph Losey, John Huston, Richard Burton, Marlon Brando, Montgomery Clift et tant d'autres encore. De fil en aiguille, les pistes se croisaient, s'assemblaient pour tisser un formidable réseau d'affinités affectives et professionnelles qui ne devait rien au hasard : Elizabeth Taylor avait bel et bien construit une carrière d'une richesse et d'une diversité sans égale. Je n'allais jamais voir un film pour elle, mais parce que sa présence était plus que d'autres la promesse de nouvelles découvertes et un gage de qualité bien au-delà de sa propre prestation.

Car malgré ses 2 Oscars, Elizabeth Taylor n'était pas la meilleure actrice du monde. Hormis dans Qui a Peur de Virginia Wolf où elle était à la hauteur de son statut de superstar et surtout de son immense partenaire de mari Richard Burton - qui lui n'obtint jamais la récompense suprême -, il fallait au mieux se contenter d'un jeu correct à la technique parfois datée. L'essentiel de son talent tenait plutôt à ce charisme si particulier qui, à la ville comme à l'écran, pouvait transformer en quelques instants la classe incarnée en virago d'une effrayante vulgarité. Son regard fulgurant d'une rare intensité, sa voix haute perchée, son profil de médaille et sa silhouette plantureuse illustraient à merveille cette dualité aristocratique et animale qui fascinait tant de prestigieux cinéastes. Une force de caractère qui imprimait si bien la pellicule que personne ne songeait lui confier des rôles de ravissante idiote.

Enfant gâtée issue d'une famille aisée, coachée par une mère ex-actrice, la petite Liz connut très tôt la célébrité. À 10 ans elle tourna son premier film, à 12 rencontra un premier grand succès et atteignit définitivement le statut de superstar en 1956 avec Géant de George Stevens. Symbole du Hollywood des grands studios, elle fut aussi celui de leur chute et de la fin d'une discipline de fer qu'ils imposaient à leurs cheptels de comédiens sous contrats. Se moquant des codes moraux et des agents de com' qui orchestraient autant la carrière que la vie privée des stars, Elizabeth Taylor n'en fit qu'à sa tête durant toute sa vie. Cette volonté de s'émanciper de toute autorité morale fit d'elle l'une des premières vedettes à occuper les journaux autant pour sa carrière que pour sa vie privée : mariages à répétition, deuils, opérations multiples, passion du luxe, amitiés indéfectibles, contrats pharaoniques, excès divers, tout était proportionnel à l'idée que le public se faisait d'Hollywood et de son apologie de la démesure.

Première actrice à franchir le cap symbolique du million de dollars pour son rôle dans Cléôpatre, elle fut surtout une pionnière pour exiger un pouvoir croissant sur les films auxquels elle participait. Gérant au mieux sa notoriété, elle influa très tôt sur le casting, le choix du réalisateur ou l'orientation d'un projet à une époque où ce n'était guère l'usage. Il en résulta cette filmographie unique et incomparable à celles de la plupart de ses collègues féminines de l'époque.

Bien sûr, seuls ses proches surent quel être humain elle fut au-delà du glamour publicitaire enveloppant toute star de son envergure. Parmi les innombrables anecdotes à son sujet, l'une d'elles nous donne peut-être un indice sur sa personnalité : son grand ami Montgomery Clift eut un terrible accident de voiture au sortir d'une soirée donnée par la star. Elizabeth Taylor arriva la première sur les lieux du drame et découvrit son ami mourant, défiguré, la mâchoire éclatée. Elle lui sauva la vie en lui extirpant de la gorge ses propres dents qui l'étouffaient. Plus tard, Montgomery Clift lui offrit l'une de ces dents qu'elle fit monter en bijou et qu'elle porta longtemps. Rock'n roll !

Mais peu importent les ragots, le glamour, les frasques matrimoniales et même son combat exemplaire contre le SIDA dont elle fut, là encore, la première à relayer l'urgence en levant des dizaines de millions de dollars pour la recherche : c'est son incidence sur ma vie de cinéphile que je salue aujourd'hui à l'occasion de sa disparition. Nulle tristesse de pacotille ni pathétique compassion de fan énamouré, mais une juste reconnaissance envers une artiste qui, parmi d'autres, est à l'origine de ces pages et de la passion qui les anime encore aujourd'hui.

mercredi 16 mars 2011

The Social Network

C'est l'histoire d'un jeune type qui développe un truc cool et globalement inutile - c'est un utilisateur assidu qui l'écrit - en exploitant l'idée d'un autre avec l'argent d'un pote. Il le fait parce qu'il s'est pris un vent par sa copine de classe. Depuis, le truc en question est censé avoir révolutionné le monde ou à peu près. D'ailleurs ça vaut des milliards, ou plutôt c'est "évalué" à des milliards. Sa valeur étant déterminée par celle que lui accordent ses acheteurs potentiels, il n'y a aucune limite : 10, 50, 100 milliards $ ? En tout cas assez pour que chacun tienne à récupérer une part de ce gâteau aux allures de coquille vide : Facebook.

Après le tueur vintage de son enfance dans Zodiac et la fresque fantastico-mélodramatique de L'Etrange Cas de Benjamin Button, c'est donc à un sujet assez quelconque que décide de s'attaquer David Fincher : un biopic doublé d'une success-story comme Hollywood les aime. Avec tout de même une singularité de taille puisque l'aventure se poursuit plus que jamais aujourd'hui : Facebook fut créé en 2004, ouvert à tous en 2006, le livre de Ben Mezrich a été écrit en 2009 et le film dont il est tiré est sorti en 2010 en pleine Facebookmania. En somme du cinéma en temps - presque - réel, en parfaite adéquation avec son sujet, le web. Un film bien dans son époque également par le type de personnage qu'il décrit : un milliardaire post-ado, fruits de la génération startup où un jeune informaticien rusé peut se rêver nabab en quelques mois pour peu que des investisseurs voient en lui "l'Avenir".

David Fincher nous avait habitué à des sujets plus tordus, ou tout au moins plus intrigants. Mais la diversité est souvent la marque des cinéastes talentueux. Et c'est bien de talent dont il s'agit ici, car c'est avec une maîtrise rare que le cinéaste parvient à offrir un film brillant... à défaut d'être passionnant. Si, c'est possible !

S'il est bien question d'une success-story, on n'est pas exactement sur le registre Rocky Balboa. Nous avons affaire à une poignée de jeunes gens issus de l'Amérique la plus gâtée, des étudiants fortunés dans le cadre cosy de la prestigieuse université d'Harvard. C'est peu dire que côté "revanche" et "adversité", on navigue dans le relatif. Difficile de vibrer pour des personnages qui ne risquent absolument rien, si ce n'est réussir un peu moins que prévu. Aucun d'eux n'étant par ailleurs sympathique ou charismatique, l'identification ne pouvait décidément pas être un moteur déterminant du film.

Côté péripéties, on a connu plus échevelé : outre des préoccupations techniques parfois absconses échangées autour d'un clavier d'ordinateur, les ressorts de l'intrigue relèvent de la déception sentimentale de collégien, de trahisons standards ultra prévisibles, de conflits d'intérêts et d'affrontements feutrés par avocats interposés. Tout cela est en mode mineur et fleure bon le déjà vu sur petit ou grand écran. Et comme Facebook (le vrai) a obtenu modifications et coupes avant la sortie du film, il n'est pas facile d'envisager le tout comme un document.

Flairant donc les nombreuses faiblesses du projet, Fincher redouble d'intelligence pour livrer par contre-coup son film le plus dense, le plus sec et peut-être le plus efficace. Grâce à l'écriture nerveuse d'Aaron Sorkin, ses dialogues percutants, des jeunes comédiens tous excellents, un découpage stupéfiant, une image splendide toute fincherienne qui rehausse un décor fade ou corporate, le cinéaste évite les pièges tout en épurant habilement son style. Ce qui ne l'empêche pas de se lâcher ponctuellement avec quelques effets de manche jouissifs qui nous rappellent qu'il s'agit bien d'une œuvre de cinéma et pas d'un docudrama trendy : le plan d'ouverture, la courte séquence d'aviron ou les jumeaux "numériques".

Malgré les apparences, The Social Network est résolument un manifeste contre cette vieille idée convenue de la réalité dépassant la fiction. La réussite du film est liée essentiellement à la manière dont le sujet est transformé, interprété, sublimé par son (ses) auteur(s), sans jamais tomber ni dans l'hagiographie ou l'idéologie bêlante du winner, ni dans le pathos du "pauvre garçon trop riche". Sous la forme d'un documentaire factuel ou confié à un réalisateur sans saveur, The Social Network serait prodigieusement ennuyeux : le spectacle de la médiocrité ordinaire sous le lustre des milliards virtuels et de la réussite éclair 100% geek. David Fincher, lui, en profite pour nous offrir une saisissante leçon de cinéma. Exploit.

lundi 28 février 2011

Harry Brown

Drôle de film. Enfin "drôle", c'est vite dit. Ce récit d'une vengeance froide sur fond de misère sociale et de barbarie ordinaire dans l'Angleterre contemporaine n'a rien d'une franche rigolade. Mais les contradictions qu'il recèle finissent par produire une impression pour le moins ambiguë qui confine franchement au malaise.

Friand de nostalgiques intrigues victoriennes tout en tasses de thé et soupirs corsetés, le cinéma britannique sait aussi - et peut-être surtout - exploiter sans fard les autres aspects de sa société contemporaine. Au point où le cinéma dit "social" semble être devenu avec le temps une spécialité d'outre Manche. Cela dépasse très largement l'œuvre d'un cinéaste emblématique tel que Ken Loach, ou un thème spécifique qui évoquerait les classes populaires dans un dessein misérabiliste ou laudatif. En effet, les cinéastes anglais - et leurs voisins irlandais, ne mégotons pas - sont passés maîtres dans cette manière de fusionner les différents aspects de la vie ordinaire en un savant mélange qui échappe à tous les manichéismes.

Ce refus de la radicalisation notamment psychologique pourrait donner un résultat tiède, stérile à force de brouiller les pistes et ne pas prendre position. Il en résulte au contraire une force et une richesse incomparable qui dépassent souvent le sujet central. Bien difficile alors de classer des œuvres comme The Snapper, Bon Baiser de Bruges, My Beautiful Laundrette, Chronique d'un Scandale, Intermission, Snatch, Beautiful Thing, Transpotting, Secrets et Mensonges : drame, thriller, comédie dramatique, film social, sentimental, politique, policier..? Sans doute un peu tout cela. S'il est un cinéma humaniste qui peut prétendre à l'universel, c'est bien celui-là. Bien loin des supposés tenants du titre : un cinéma américain qui n'en finit plus de pilonner son idéologie rédemptrice expéditive, nourrie d'une religiosité infantile identifiant schématiquement le Bien et le Mal, ou bien notre cinéma national confit de nombrilisme bourgeois.

Avec son Harry Brown, Daniel Barber entend explorer davantage encore son pays en abordant froidement la réalité des "quartiers" comme l'on dit pudiquement par chez nous. Traduisez : les cités où s'entassent inexorablement plusieurs générations de laissés-pour-compte d'un système impitoyable. Ecartant la thèse ou le docu-fiction façon Gomorra, Barber semble d'abord privilégier la piste d'un genre plus abordable : celui du polar le plus sombre mais de plain-pied avec une réalité sans concession : l'âge du personnage titre écartant d'emblée toute possibilité de cavalcades spectaculaires et autres séances de frappe à 2 balles.

Ancien militaire septuagénaire vivant chichement dans une banlieue délabrée de Londres, Harry Brown partage ses mornes journées entre l'hôpital où se meurt son épouse, et son vieil ami Leonard qu'il retrouve dans un pub poisseux pour jouer aux échecs, boire une bière, discuter de tout et de rien. Autour d'eux c'est l'apocalypse : des bandes de jeunes voyous zonent, trafiquent, se battent, assassinent dans cette apparente indifférence générale dont l'autre nom est la peur. Lorsque Leonard est lynché à son tour pour avoir fait face à la meute, Harry Brown exhume son arme de guerre et part faire justice, enfin sa justice.

Un prologue glaçant nous plonge direct dans un univers d'une cruelle authenticité. Suit une mise en place fluide et émouvante qui nous met en contact avec les personnages et les lieux principaux du drame : une cité, un souterrain, un pub, l'appartement de Brown. La réalisation est efficace, sobre et les comédiens (professionnels ou non) tous irréprochables. Michael Caine y est évidemment excellent : plus sombre et émouvant que jamais, il est de toutes les scènes, c'est par ses yeux que nous vivons la tragédie. Le décès de sa femme, puis l'assassinat de son ami et enfin la vengeance.

Et c'est là que malheureusement le film tout entier bascule dans le vide. Tous les espoirs d'un traitement fort et nuancé, "à l'anglaise" tel que nous le laissait présager l'introduction s'évanouissent pour céder la place à un parti pris simpliste digne de n'importe quel sous-produit d'autodéfense à l'américaine période Charles Bronson. Certes, cela reste efficace car la forme est soignée et le décor plus proche de nous, moins "exotique" que New York ou L.A : la longue scène chez le dealer, le carnage dans le souterrain ou le final dans le pub ne sont pas exempt d'une certaine puissance ni de beauté vénéneuse. Mais quelle purge idéologique !

Comment Michael Caine, militant pour un investissement massif dans l'Education, soutenant un service civil volontaire de seconde chance pour ceux qu'il nomme les jeunes "oubliés" de la société anglaise (il est vrai aux côtés des Tories de Cameron), comment cet homme-là peut-il cautionner les propos simplistes et sanglants de Daniel Barber ? Lors de la promotion du film, le comédien n'eut de cesse de marteler le souvenir de sa jeunesse pauvre et turbulente, de son passé de malfrat dans les quartiers mêmes où furent tourné le film, de sa proximité avec des voyous jouant presque leur propre rôle. En somme sa volonté de montrer ce qui s'y passe encore aujourd'hui. Très bien ! Mais en quoi cela justifie-t-il le propos du film qui se situe, lui, exclusivement au niveau du "œil pour œil" ? De réduire ainsi la police à un ramassis d'incapables nécessitant la prise en main personnelle - et armée - du problème ? Si la préoccupation de Mr Caine est l'éducation, pourquoi cette consternante image finale illustrant la fierté "du devoir accompli", comme si le problème n'avait qu'une solution : l'élimination physique ?! Une balle pour chacun et hop les oiseaux se remettent à chanter dans le parc. Au secours !

Seul point intéressant vu de la France sarko-zemmourienne : l'essentiel des voyous du film sont des anglais bien roses. Les personnages étant interprétés par des gamins du cru, on ne pourra pas faire un procès en politiquement correct au réalisateur. Une raison supplémentaire de se pencher sur les véritables causes de ces phénomènes de délinquance que l'on retrouve dans toutes les sociétés occidentales comparables, et ce sans distinction d'origines ethniques. Mais en dépit d'une pose censée "dénoncer", Barber s'en fout éperdument et préfère sortir son flingue.

samedi 31 juillet 2010

Inception

Christopher Nolan a bien compris le fonctionnement d’Hollywood : entre 2 Batman, il nous refile son film à lui, son projet perso qui, sans les mégas succès de l'homme chauve-souris, aurait eu sans doute du mal à voir le jour. Il y eu Le Prestige, et aujourd'hui Inception en attendant évidemment le 3e volet des aventures du justicier de Gotham.

Mais à la différence du Prestige qui adaptait un roman de Christopher Priest, Nolan ose à nouveau écrire un scénario original : une première depuis 10 ans et son surprenant Memento qui le révélait au monde. On y retrouve d'ailleurs des thèmes communs tant dans l'écriture que la réalisation : tripatouillage chronologique, montage alterné, réalités alternatives. Un rapprochement qui s'applique même au Prestige où, par le biais de la magie, la réalité n'est jamais vraiment certaine...

Avec Inception, il s'agit, via le sommeil, d'interférer avec les niveaux de subconscients d’un individu duquel on souhaite soutirer des informations. Le concept de l'inception (création, origine en français) étant, par le même procédé, d'aller plus loin pour créer de toutes pièces les futures aspirations et décisions de la victime. Une sorte de lavage de cerveau de l’intérieur qui conduit Nolan à choisir un traitement qui s’apparente au film d’espionnage : réalisme contemporain, secrets industriels, équipe d’agents typés et spécialisés, folles poursuites autour du monde, intrigue paranoïaque à multiples bandes. Le tout produit un séduisant cocktail situé quelque part entre Mission Impossible, Le Prisonnier et Ocean's Eleven. C’est aussi la partie la plus réussie et jubilatoire d’Inception. D’autant que le cinéaste compose comme toujours un casting de première classe.

Écartant cette fois Christian Bale dont il connait sans doute les limites, Nolan fait appel à un Leonardo Di Caprio plus que jamais bankable mais surtout comédien tout-terrain dont le talent ne se résume pas à une présence charismatique. L'acteur y est à chaque instant crédible dans tous les registres. Autour de lui évoluent des visages familiers au cinéaste (Michael Caine, Cillian Murphy, Ken Watanabe) ainsi que quelques nouveaux venus : Ellen Page, Joseph Gordon-Levitt, Marion Cotillard, Tom Hardy, Tom Berenger, tous irréprochables et complémentaires à l’image de leurs personnages respectifs. Hormis peut-être notre Marion nationale qui peine à émouvoir, cette équipe donne chair à un film qui aurait pu se révéler très artificiel, glacé par son concept de réalités imaginaires agrémentées d'explications "scientifiques" pas toujours d’une légèreté et d'une transparence à toute épreuve.

C’est là d’ailleurs l’une des faiblesses du film : Nolan semble hésiter entre le passage en force sur les articulations hasardeuses du récit, laissant ainsi le spectateur dans l'incertitude d’avoir bien suivi, ou bien expliquer lourdement chaque étape de cette aventure échevelée où les "niveaux" de réalités sont multiples, les limbes jamais très loin, où l'on se réveille quand on meurt, mais pas toujours (!). Tout cela prétend à une virtuosité qui frise le fumeux voire l'intenable. Et l'on pense aussitôt à Matrix bien sûr. Heureusement Nolan a le bon goût d'éviter la sentencieuse "philosophie" qui caractérisait la trilogie des frères Wachowski. Pourtant subsiste une étrange sensation commune aux deux films, liée au thème lui-même, qui empêche l'immersion totale dans une histoire où l’on passe beaucoup de temps à expliquer que tout cela n’est pas réel, mais seulement imaginé par des gens qui dorment dans des fauteuils.

Reste une aventure tonique, agréable bien que longuette et finalement assez classique - l’amour, la famille, le remord… - en dépit de ses aspects alambiqués. Les twists sont souvent prévisibles, l'esthétique plutôt quelconque et si les scènes d’action sont efficaces et bienvenues, elles ne révolutionnent guère le genre. Tout comme les effets spéciaux qui ne présentent que peu d’intérêt d’un point de vue narratif - voire graphique - , au point de sembler parfois plaqués sur un film qui pouvait s'en passer.

Heureusement la musique de Hans Zimmer rehausse considérablement le tout et offre à l’ensemble une manière de grandiloquence maîtrisée et salutaire, retrouvant ainsi par moments le souffle si particulier de Dark Knight. Mais l’on reste loin de l’histoire bouleversante et originale du Prestige, de son esthétique riche, délicate, de son image sombre et envoûtante. Certes, Inception est un très bon film d’action, incontestablement plus soigné et pensé que la moyenne, mais qui constitue néanmoins une pause créative dans une filmographie qui avait su progresser à chaque opus.

jeudi 1 juillet 2010

Le Parfum

Jean Baptiste Grenouille naît sur un marché visqueux du Paris de 1744. Laissé pour mort, il est miraculeusement ramené à la vie puis recueilli par un orphelinat pouilleux où il développe un odorat extraordinaire qui le propulsera vers une prodigieuse odyssée meurtrière.
Personnage solitaire au caractère proche de l’autisme, Grenouille nous promène dans la France du XVIIIe siècle, celui des Lumières mais aussi de la misère, où partout règne la barbarie ordinaire. À l’image de son époque, l'orphelin incarne ce mélange d’extrême raffinement et de brutalité sauvage : hypersensible à la plus infime essence au point d’être capable de créer des parfums étourdissants, il n’hésite pas à devenir une effroyable machine à tuer en poursuivant une obsession folle et dévorante : conserver le parfum corporel de jeunes femmes afin de créer l’essence ultime, un concentré de désir, de pureté et de séduction…

Patrick Süskind refusa 15 ans durant toute adaptation de son roman - un best-seller international. Seul Stanley Kubrick trouvait grâce à ses yeux, mais le cinéaste jugea l’œuvre inadaptable. C’est finalement en Allemagne que le projet est mis en chantier par le producteur Bernd Eichinger, ami de l’auteur. En effet, malgré un casting essentiellement anglo-saxon et un tournage en anglais, il s’agit d’une coproduction allemande, française et espagnole qui, par ses allures de superproduction ambitieuse et ses thèmes inhabituels, rappelle un autre film conçu dans les mêmes conditions : Alexandre d’Oliver Stone. On y retrouve, malgré les apparences de faste hollywoodien, ce sentiment diffus mais puissant que jamais un tel spectacle n’aurait pu voir le jour de l’autre côté de l’Atlantique.

À la fois film historique flamboyant, thriller glauque et conte fantastique, le film de Tom Tykwer illustre avec talent l'univers délirant créé par le romancier. Empreinte de classicisme mais aussi de modernité par le biais d’effets bien dosés, la réalisation offre un spectacle de belle tenue, séduisant mais sans édulcorer les aspects les plus audacieux du sujet.
En premier lieu desquels figure Jean-Baptiste Grenouille lui-même, fascinant antihéros navigant entre le jeune homme hypersensible et le sociopathe le plus bestial. Tel un Victor Frankenstein aux allures de croquant, un Hannibal Lecter des bas-fonds, son obsession le consume tout entier et l’empêche d’éprouver la moindre empathie pour ses bienfaiteurs ou de rancœur pour ses tortionnaires. Rien n’a d’importance hormis le but qu’il veut atteindre, aussi fou soit-il.

À l’image du film, le jeune Ben Whishaw est impressionnant d’ambiguïté dans ce rôle ingrat et difficile de psycho killer avant l’heure. Avec peu de dialogue, il parvient par sa présence à rendre crédible ce personnage d’apparence fragile, presque gracieux et mu par une implacable obsession morbide. Face à lui Dustin Hoffman compose un truculent Pygmalion, parfumeur sur le retour bien vite dépassé par son élève. Mais c’est Alan Rickman qui hérite du rôle le plus riche, le plus touchant aussi : celui d’un grand bourgeois épris de raison, fou d’amour pour sa fille - joliment incarnée par la lumineuse Rachel Hurd-Wood - qui aura le malheur d’être l’objet de tous les désirs de l’impitoyable Grenouille...

Sombre, envoûtant, débarrassé de ces archétypes moraux et narratifs qui se soucient avant tout de rentabilité, Le Parfum va donc jusqu’au bout de lui-même, mélange les genres, émerveille parfois, dérange aussi, pour aboutir à quelque chose de rare, jusque dans ses excès.

mercredi 23 juin 2010

Wolfman

S’il existe une malédiction plus cruelle que devenir une bête à chaque pleine lune, c’est bien celle d’être un loup-garou au cinéma. À chaque nouvelle tentative, la bestiole n’en finit plus de se prendre les pieds dans le tapis angora : fauché ou grand luxe, vintage ou dernier cri, le lycanthrope filmé est le royaume de la rouflaquette postiche, du bonnet hirsute, de la mandibule prognathe et du grognement préhistorique propulsant invariablement le comédien de service puis le film tout entier dans le comique involontaire.

Hormis l’épatant Hurlements de Joe Dante qui, seul, su relever brillamment le défi en imaginant la transformation intense et organique d’un monstre à la fois "réaliste" et effrayant, tous ses successeurs ont foiré le come back à des degrés divers : le loup façon grizzly du Loup-Garou de Londres et son interminable transformation proprette, La Compagnie des Loups et ses écorchés télescopiques, les masques de carnaval de Peur Bleue (non, pas celui avec les requins), Teen Wolf ou son avatar à oreilles de lapin du clip Thriller de Michael Jackson. Même le choix du maquillage léger et du propos de fond de Wolf par le très sérieux Mike Nichols n’épargne pas Jack Nicholson et James Spader lors d’un final poilant et bondissant, tout en "grrr" et coups de pattes. L’arrivée des effets numériques, loin de conjurer le sort, ajoute au contraire un supplément d’artifice : Le Loup Garou de Paris, Underworld, Twilight

Avec ce Wolfman, Universal tente un "retour aux sources" de ses propres classiques puisqu’il s’agit du remake de la version de 1941 qui fixa pour longtemps les règles du mythe (balles d'argent, pleine lune...). En s’offrant un budget confortable bien loin de la série B, un casting de stars et un scénario romantico-gothique, Wolfman a clairement l’ambition d’emprunter le même chemin que le flamboyant Dracula de Francis Ford Coppola qui ringardisa en un seul film 50 ans de vampires cinématographiques. Danny Elfman applique d'ailleurs la consigne avec zèle en plagiant consciencieusement l’un des thèmes principaux du dandy des Carpates.

Pourtant l’approche est séduisante et possède le mérite de nous offrir un sombre décorum victorien qui avait étrangement disparu de presque toutes les versions récentes. Mais comme souvent avec les "retours aux origines", il s’agit surtout d’un manque d’imagination et d’audace.
Car entre le réalisateur du Parrain et l’insipide Joe Johnston à qui est confié ce Wolfman nouveau, il y a un monde. Filmant sans aucune inspiration de jolis décors et costumes mille fois vus ailleurs, Johnston échoue à mettre en place la moindre tension, la plus petite émotion narrative ou esthétique. Les scènes se suivent et ne s’emboîtent pas toujours au mieux, déroulant mollement un long récit cousu de fil blanc.

Côté comédiens, la comparaison est tout aussi cuisante : Benitio del Toro n’est pas Gary Oldman. Incapable de transmettre une once d’énergie à son personnage, l’acteur semble avoir été victime de la mouche tsé-tsé plus que d’un quelconque carnivore énervé. Parcourant les décors tel un fantôme, il n’échappe pas toujours au comique avec sa curieuse coiffure anachronique et une diction qui prend tout son relief lors de l’introduction shakespearienne. Emily Blunt assure le minimum syndical de la belle de service, tandis qu’Hugo Weaving fait trois petits tours et puis s’en va. Seul Anthony Hopkins parvient à composer un véritable personnage, à la fois étrange et déplaisant.

Mais qu’en est-il de l’incontournable "morceau de bravoure" du genre, cette transformation à vue qui est au film de loup-garou ce que le duel est au western et les atermoiements sont à la comédie romantique ? Évidemment les effets numériques ont été convoqués et, si la métamorphose s’en tire plutôt mieux que les récentes tentatives du même type, l'on n’évite pas quelques transitions vaguement grotesques oscillant entre le chewing-gum et la créature gonflable. Pourtant le pire est encore à venir avec l’affrontement final des deux monstres. Car le prétexte du "retour aux sources" est aussi l’occasion de remettre en selle l’esthétique des années 40 : une idée aussi pauvre que saugrenue, pour ne pas dire suicidaire, qui autorise la reprise de la chapka touffue et du dentier de sanglier, du torse moquetté et de la grosse baffe griffue. Jusque-là faible et sans âme, le film est alors précipité d’un coup dans cette zone fantôme où moisissent ses prédécesseurs : le ridicule.

Une vraie malédiction je vous dis…

vendredi 14 mai 2010

Esther Vs Joshua

Produit par Joel Silver et Leonardo DiCaprio, Esther connut un grand succès et surprit le public autant que la critique. Le thème pourtant guère nouveau de l'enfant maléfique semblait trouver là un traitement soigné, tendu, à la psychologie fouillée et fort bien interprété. Bref, une surprise inespérée de la part de l'insignifiant Jaume Collet-Serra coupable de l'effroyable Maison de Cire avec Paris Hilton et d'une success story footballistique Goal 2 : La consécration (!). Comment diable réussir un tel bond qualitatif ? La réponse est assez simple : en pillant un autre film sorti discrètement un an auparavant, le brillant et novateur Joshua de George Ratcliff, un jeune cinéaste venu du documentaire.

Bien sûr, ce type de cinéma n'évite pas une fâcheuse tendance au clonage à force de respecter scrupuleusement les lois du genre, elles-mêmes souvent issues des succès précédents. L'enfant modèle dissimulant un petit monstre conduisant son entourage au désastre est déjà en soi un classique. Seulement voilà, les analogies entre Esther et Joshua se situent justement là où ils se distinguent de leurs prédécesseurs.

En adoptant un regard résolument réaliste et adulte, en prenant le temps de construire des personnages forts, décrire leurs blessures intimes qui serviront de levier à l'enfant destructeur, Joshua se démarque totalement d'un genre pour être du cinéma tout court. C'est d'ailleurs au prestigieux festival de Sundance que le film de George Ratcliff fut présenté puis nominé pour le prix du jury.
Soutenue par un casting de haut niveau - Sam Rockwell toujours impeccable, Vera Farmiga bouleversante et l'énigmatique Jacob Kogan - la réalisation feutrée, sensible et précise de Joshua est d'une redoutable et subtile efficacité. Ratcliff se refuse à montrer l'évidence pour nous laisser avec nos doutes et préserver ainsi son implacable crescendo psychologique. Et c'est bien là, malgré les emprunts de fond et de forme, que le film de Collet-Serra échoue : recyclant le traitement tout en finesse de Joshua au profit de péripéties spectaculaires parfois outrancières, Esther n'est jamais davantage qu'une bonne série B d'épouvante contrainte à la surenchère pour surprendre.

Pourtant la copie ne ménage pas ses efforts pour ressembler au modèle : Joshua est un gamin exemplaire, surdoué et trop sage dans ses petits costumes d'adulte et sa coiffure impeccable ? Esther présentera donc une apparence de poupée ancienne, avec nœuds dans les cheveux et robe à volants. La progression dramatique est la même, la détérioration des rapports du couple suit un cheminement identique avec parfois les mêmes scènes et personnages ; la fragilité psychologique de la mère, commune aux deux films, sont d'origines à peine différentes mais surtout s'expriment de la même manière, provoquant ainsi le même face à face final père-enfant. Jusqu'à l'éclairage bleu fluo présent dans la chambre des deux gosses. Et au cas où subsisterait un minuscule doute, le clou est définitivement enfoncé avec l'emploi de la même actrice principale, Vera Farmiga, dans le rôle de la mère !

Parmi les différences principales figure l'origine des enfants : si la gamine est adoptée, Joshua est l'aîné de la famille. Au passage, Esther y perd en audace pour n'être qu'une énième ode à la famille, option mère courage. Le film y "gagne" en revanche en idées désagréables, puisqu'il s'agit ici de défendre la famille biologique Vs une intruse malfaisante - le titre original est Orphan. S'y ajoute l'origine de l'orpheline, l'Est de l'Europe qui après avoir été pendant des décennies l'origine du Mal politique, devient la source paresseuse des perversions sanglantes et biologiques du cinéma d'horreur (Hostel, Severance, Ils, Vertige...). Mais soyons justes, Esther en tire aussi sa seule véritable idée originale : un superbe twist rocambolesque à souhait et digne des EC Comics de la grande époque.

Joshua n'est lui, ni un "étranger" à sa famille, ni à son pays : il vit avec les siens dans un confortable appartement en plein New York. Il se révèle donc autrement subversif et dérangeant, à l'image de la vertigineuse ambiguïté de sa conclusion qui laisse loin derrière le vague parfum incestueux présent dans le final d'Esther qui provoqua la censure de sa bande-annonce.

Mais la force de frappe promotionnelle de producteurs prestigieux qui paradoxalement affadissent l'histoire en pensant la rendre plus efficace fit la différence : Esther rapporta 76M$ tandis Joshua n’en récolta... que le centième ! Plus injuste encore, c'est le film de Jaume Collet-Serra qui recueille les louanges, détournant ainsi bien plus que de l'argent : c'est l' œuvre d'un auteur rigoureux et d'une grande maturité, George Ratcliff, qui est ici confisquée.

lundi 26 avril 2010

Simples Secrets

Produit par Robert De Niro en 1996 et dirigé par Jerry Zacks, un inconnu issu de Broadway dont c’est là l’unique réalisation au cinéma, Marvin’s Room est l’adaptation d’une célèbre pièce de théâtre de Scott McPherson. Adapté par l’auteur juste avant sa mort en 1992, le film réunit une distribution qui claque : Meryl Streep, Diane Keaton, Leonardo DiCaprio et Robert De Niro qui, dans un rôle discret et plutôt inhabituel, résume à lui seul le ton général du film : à la fois émouvant, dramatique même, mais aussi souvent drôle, Marvin’s Room est une œuvre touchante qui, sous ses allures de mélo larmoyant, cache une véritable émotion plus discrète et généreuse. Est-il besoin de préciser que le titre français est parfaitement ridicule ?

Deux sœurs s’ignorent depuis 20 ans : la première est coiffeuse et galère avec ses deux enfants dont l’aîné souffre de troubles comportementaux ; la seconde a passé sa vie au chevet de son père invalide et sa tante un tantinet gâteuse. À la suite d’un grave problème de santé, toute la famille est contrainte à des retrouvailles forcées et houleuses. Bien sûr, sur le papier tout ceci peut sembler too much dans le registre de la boîte à mouchoirs. Avec la bonne vieille ficelle de l’épreuve qui rapproche les membres d’une famille et son parfum de rédemption, on s’attend à une avalanche d’étreintes et de nez qui coulent, passages presque obligés du mélo US. Pourtant le film évite la plupart des pièges du genre et surprend souvent.

Le fait que le scénario soit écrit par un auteur mourant écarte d’emblée toute suspicion de produit cyniquement conçu comme un tire larmes. Tout est ici abordé avec une simplicité et une pudeur qui forcent le respect. À ce titre, les échanges entre le médecin (De Niro) et la patiente (Diane Keaton) sont d’une touchante justesse et esquivent les excès de pathos par des éléments de comédie qui affleurent sans jamais s’imposer. Tout le film est d’ailleurs fort bien écrit : fluidité des dialogues qui font mouche, parfait équilibre entre les différentes tonalités qui permettent de passer d’une émotion à une autre en quelques instants, presque par surprise. Le regard tendre jeté sur les personnages, même les plus borderlines, n'est pas sans évoquer l'univers de Tennessee Williams, le désespoir en moins.

Bien sûr, c’est aussi brillamment interprété. Le duo Streep/Keaton, tout en complémentarité, illumine l’écran. En contre point, un DiCaprio intense laisse merveilleusement passer la vulnérabilité du personnage de Hank sous ses aspects agressifs et auto destructeurs. Tous les seconds rôles sont également excellents : Gwen Verdon incarne une émouvante Tante Ruth complètement à l’ouest, affublée d’un improbable système anti-douleurs électronique qui déclenche aussi la porte du garage ; Margo Martindale est une psy impeccable et même le petit Hal Scardino, sans presque aucun dialogue, est épatant en témoin lunaire. Et puis le tandem De Niro/Dan Hedaya, frères à l’écran, nous offre un savoureux moment de comédie. Quant au rôle titre - pour le moins ingrat -, il est tenu par Hume Cronyn dont c'est la dernière prestation sur grand écran.

Évidemment, l’exercice montre aussi ses limites : hésitant entre mélodrame assumé et une délicatesse se refusant aux excès, Marvin’Room peut décevoir des deux côtés. L’accumulation de "tuiles" peut faire parfois un peu déborder la coupe tandis que l’inévitable évocation du passé conflictuel manque sans doute un peu de densité. Qu’importe, car à l’image de sa conclusion abrupte qui nous laisse imaginer la suite sans rien en dire, le film de Jerry Zacks ne prétend pas être un chef d’œuvre ni donner une spectaculaire leçon de vie. Il s’attache à décrire au plus juste un moment de l’existence de personnages complexes et vulnérables, maladroits souvent, face à l’inéluctable : la mort des siens.

mardi 20 avril 2010

Le Choc des Titans

Il est des exploits qui frisent l’intervention divine et la chose magique. Foirer à ce point un remake de ce genre, il fallait de la ténacité et de l’ambition : Louis Leterrier l’a fait. Cet homme n’a peur de rien, on le savait depuis son redoutable Hulk. Mais il démontre aujourd’hui qu’il ne s’agissait pas d’un accident de parcours lié à un personnage ingrat. Non, Louis Leterrier tient le cap afin de rejoindre Michael Bay au panthéon des plus mauvais réalisateurs de blockbusters et au-delà. Et il y parvient avec une aisance remarquable.

Pourtant l’affaire s’annonçait bien moins risquée que l’adaptation du géant vert : il s’agissait de redonner du tonus et un coup de lustre à un Choc des Titans de 1981 charmant et réussi mais déjà passablement vieillot à l’époque. Film d’aventure construit tout entier autour d'effets spéciaux - comme toutes les productions du tandem Schneer/Harryhausen depuis 1955 -, Le Choc des Titans touille plusieurs mythes docilement mis en images par Desmond Davis, yesman de l’époque qui se borne à filmer les intermèdes entre chaque morceau de bravoure d’un Ray Harryhausen en fin de carrière. C'est léger, simple, bon enfant. Bref, on est assez loin de Citizen Kane.

Nulle révérence excessive donc, ni hurlement au sacrilège de ma part pour oser profaner un "classique" : tout en étant très attaché à l’original, l’annonce de ce remake m’enthousiasmait. Le projet annonçait en effet le retour de l’aventure mythologique tout en s’attaquant à l’un de ses meilleurs représentants dont la remise au goût du jour était prometteuse, pour ne pas dire "facile". Mieux : les dieux semblent même se pencher un temps sur le projet puisque c’est Lawrence Kasdan qui était chargé du premier scénario tandis que les producteurs clamaient leur admiration du Gladiator de Ridley Scott. Ma foi, on a vu pires augures.

Et puis soudain, tout bascule comme disent les journalistes. Exit Lawrence Kasdan, arrivée de Louis Leterrier. L’enthousiasme en prend un coup mais je croise les doigts. Après tout, on l’a vu, l’original était aussi un film de producteurs. L’irruption d’une bande-annonce tonique en diable me rend même confiant. Il y a bien ce Zeus chevelu et illuminé façon disco qui inquiète un peu mais le laser enfumé derrière un Laurence Olivier épuisé n’échappait pas non plus au kitch dès 1981.

Las, la découverte du film lui-même se situe au-delà d’une simple déception. Durant 2 heures, Letterier collectionne méthodiquement les bourdes. Là où l’histoire originale est fluide et limpide, tout est ici bancal et inutilement confus. En prétendant ajouter des éléments, le film ne fait que se perdre toujours un peu plus dans les méandres de motivations fumeuses. Motivations dont il faut en permanence expliquer les tenants à coup d’introduction récitée et de péripéties racontées à postériori. Plus grave : en éliminant la scène d’ouverture de l’original, il sacrifie un élément spectaculaire décisif qui du même coup prive le spectateur d'un aperçu de la menace censée planer ensuite durant tout le film. D'un point de vue narratif c'est du suicide. Le déroulement de la quête est du même niveau, accumulant les épreuves de façon désordonnée dans un fatras de scènes disparates s’entrechoquant sans aucune unité si ce n’est celle d’être très mal filmées et photographiées.

Côté comédiens, c’est un jeu de massacre. Qu’ils soient inconnus, confirmés ou prestigieux, tous se vautrent à chaque instant, démontrant, comme c’était déjà le cas dans Hulk, que le problème se situe bien derrière la caméra. Sam Worthington, déjà falot dans Avatar et Terminator Salvation, sublime encore son jeu limité et son absence totale de charisme. Mais soyons honnêtes, son prédécesseur ne brillait guère par sa présence et son talent, sa sélection étant due surtout à son statut d’amant d’Ursula Andress retenue alors pour incarner la déesse Aphrodite.
Liam Neeson, déjà rompu à l’exercice depuis La Menace Fantôme, limite les dégâts et en fait le moins possible. Malheureusement Ralph Fiennes n’a pas cette chance : son rôle d’Hadès étant plus "consistant" que celui de Zeus, l’occasion lui est donnée de se ridiculiser à plusieurs reprises. Affublé d’un maquillage de train fantôme, d’une posture hasardeuse, d’une voix enrouée et de dialogues insipides, on a la tentation de détourner le regard, submergé par l’embarras. Tous les autres seconds rôles sont transparents, inadaptés ou en font des caisses, maniant un humour à mi-chemin entre Taxi et Transformers. C'est dire si on rit.

Le festival de mauvais goût qui tient lieux de choix esthétiques n'arrange rien. Mais est-ce bien surprenant de la part d’un réalisateur se réclamant des Chevaliers du Zodiaque ? Outre l'Olympe plutôt moche, c'est une succession de postiches miteux et de maquillages à la truelle qui rappellent les inénarrables téléfilms italiens type La Caverne de la Rose d'Or. Une mention pour les Djinns, subtils mélanges d’Hommes-des-Sables et de Transformers en bois affublés d’yeux lumineux. S'ajoute à cela un Calibos aux allures de mutant radioactif échappé de La Colline à des Yeux tandis que la Méduse en toc semble extraite de l’affreux Beowulf 3D de Zemeckis. Reste le Kraken qui s’en tire plutôt bien, il est bien le seul. Scènes d’action illisibles, cadrages je m'en foutistes, décors artificiels et effets spéciaux ternes complètent le tableau.

On a trop souvent tendance à sous estimer la difficulté de réaliser convenablement un film de ce type, en pensant à tort que n’importe qui fait l’affaire, que ce n’est qu’une question d’argent, d’effets spéciaux. À la vision de cette purge, on se rend compte combien l’entreprise est hasardeuse, en équilibre entre d'innombrables choix artistiques pouvant, à chaque instant, faire sombrer le film tout entier. Et contrairement aux idées reçues, ces choix sont souvent ceux du réalisateur en titre. En archétype du cinéaste indigent incapable même de copier son modèle, Leterrier nous offre là un bêtisier du gros film, et plus largement une sorte "d'anti leçon" de cinéma. Car loin du simple remake raté ou de la superproduction impersonnelle, Le Choc des Titans 2010 est avant tout un film effroyable, à la fois horriblement mal écrit et dirigé, sans aucun atout, même pas celui d’être involontairement drôle. A fuir.

mardi 13 avril 2010

L'Imaginarium du Docteur Parnassus

Allez hop, reprise du blog après quelques semaines d’absence pour cause d’activités musicales soutenues. Pour ce come-back printanier, pas question de faire dans la demi-mesure : on attaque avec l’Imaginarium du bon docteur Gilliam dont la prodigieuse bande-annonce présageait un retour plus flamboyant, poétique et visionnaire que jamais. Seulement voilà, le présage tourne rapidement au mauvais sort.

Mal écrit et brouillon, ce Parnassus se limite à un clone poussif des fringantes Aventures du Baron de Munchaüsen réalisées par le même Terry Gilliam en 1988. Brassant platement des thèmes identiques jusqu’à une caricature vite ennuyeuse, le cinéaste mâchouille ses propres gimmicks de fond et de forme tels de vieux chewing-gums éventés. Ce n’est plus un style, c’est du radotage. Il faut reconnaître que l’auteur avait annoncé le film comme une synthèse de ses travaux antérieurs. Mouais.

Créateur multitâche et cinéaste culte, Gilliam vit depuis toujours sur l'idée que ses échecs s’expliquent par la trahison de vilains producteurs ou par la faute à pas de chance. Le réalisateur maudit de l’Homme qui a tué Don Quichotte se traîne en effet une scoumoune carabinée côté coulisses. Son Imaginarium n’échappe pas à la malédiction puisque ce n’est rien de moins que l’un des acteurs principaux, Heath Ledger, qui meurt en plein tournage. Mais expliquer les errances du scénario par ce drame serait trop simple : le caractère fantasmagorique du film s’accommode très bien du passage de trois comédiens pour un même rôle. Non, c’est bien d’un manque d’idées fraîches dont il s’agit. Un comble pour un auteur iconoclaste dont l’un des thèmes essentiels est l’inlassable promotion d’un imaginaire débridé face à la monotonie du quotidien.

Reste une foisonnante direction artistique adaptant intelligemment les possibilités techniques actuelles à l’imagerie personnelle du réalisateur. Mais, comme le scénario, ce feu d’artifice ronronne et jamais ne touche. Malgré l’abattage d’une pléiade de comédiens irréprochables, il flotte comme une froideur, un parfum de commande : une coquille joliment peinte mais vidée de sa substance. Terry Gilliam ressemblerait-il aujourd'hui à son vieux Baron de Munchaüsen momentanément desséché et las de raconter de nouvelles histoires ?

lundi 15 février 2010

Still Walking

Il est courant de fustiger - à juste titre - l'accumulation de clichés engendrés par le cinéma de divertissement : recettes dupliquées à l'infini, personnages stéréotypés, péripéties prévisibles, fin programmée. Tout semble souvent conçu pour cibler un public clairement identifié qui voudrait se raconter éternellement les mêmes histoires et à qui il convient de livrer un produit sur mesure. Il est plus rare de relever ces mêmes travers dans le cinéma dit d'auteur qui pourtant ne s’en prive pas.

Still Walking en est un exemple parfait. Durant presque deux heures, Hirokazu Kore-Eda déroule imperturbablement une chronique cousue de fil blanc où chaque personnage, chaque situation, chaque dialogue est un poncif du film familial et intimiste. Rien ne nous est épargné : le père bourru, la mère volubile, les évocations nostalgiques, les ragots, les albums photos, la chanson souvenir donnant le titre au film, la sœur un peu fantasque et le fils indigne, l'inévitable drame familial et son fantôme dans le placard, jusqu’à l’épilogue en forme de leçon de vie dont on devine et redoute les termes dès les premières minutes. Pourtant, alors que seraient stigmatisés paresse et académisme pour tout autre film, c’est l’universalisme et l'intemporalité qui sont vantées ici par une presse en pâmoison. Mazette.

Il faut reconnaître que ce n’est pas faux tant Still Walking pourrait faire l'objet d'un remake français, américain ou italien, peu importe, et ce sans en changer une virgule. Tout juste faudrait-il remplacer les recettes de cuisine et adapter quelques considérations spécifiques au Japon. Car évidemment, c'est là que le film tape juste en comblant le spectateur amateur de culture nipponne, assistant à 24 heures de la vie d'une famille ordinaire. Enfin, ordinaire telle qu'on le conçoit généralement au cinéma, c’est-à-dire avec un père médecin, une mère au foyer, une confortable maison familiale nichée dans la végétation à proximité de la mer.

Il en résulte donc un cocktail convenu parfaitement adapté à un certain public français bien moins ouvert et exigeant qu’il ne pense l'être, toujours friand de représentations narcissiques fondées sur les codes d'un cinéma d'auteur national qui n'en finit plus de régurgiter une Nouvelle Vague faisandée : où l'on prétend, en toute modestie, à une pertinence tendant à l'universel là où il ne s'agit que d'enfoncer une enfilade de portes ouvertes. Seule la différence culturelle retient ici l'attention en vendant un Japon "typique" qui, vu d'ici, prend par contrecoup des allures de gimmick.

Bien sûr la sincérité du cinéaste n'est pas à mettre en cause. Faisant écho à sa propre vie, Kore-Eda filme honnêtement sa chronique comme le feraient chez nous un André Téchiné fatigué ou l’Agnès Jaoui vaine de Parlez-moi de la Pluie. Il le fait d'ailleurs plutôt bien : les comédiens sont tous excellents et la réalisation est limpide même si, là encore, elle n'échappe pas aux clichés contemplatifs : les plans qui s’éternisent, des mains d’enfants dans les arbres en fleur, l’art et la manière de couper les légumes... Sans oublier cette émotion programmée et ostensiblement retenue par laquelle Kore-Eda semble nous rappeler à chaque instant "voyez comme je suis fin et pudique" et qui, à la longue, produirait presque l’impression inverse.

Restent quelques moments touchants ici ou là - l'incursion du papillon - et le savoir-faire incontestable du réalisateur qui ne font malheureusement pas oublier l'aspect anecdotique de l’ensemble et l’absence totale d'audace ou d'idée originale. Still Walking ronronne de bout en bout, se bornant à offrir après tout le monde et de manière très scolaire ce qu'on attend de lui, comme n'importe quel film de genre. Autant revoir Ma Saison Préférée.