Elizabeth Rosemond Taylor est morte à l'âge de 79 ans. Ce n'est pas un drame au-delà de ses proches, mais c'est un événement pour tout cinéphile, une page qui se tourne dans l'Histoire du 7e Art et l'épilogue d'un certain Hollywood dit "mythique".
À l'âge où l'on se fiche éperdument des génériques et où l'on ne fréquente les salles obscures qu'à l'occasion d'un Disney, son nom fut l'un des repères qui me permit de m'orienter dans un univers cinématographique encore flou et vertigineux. La diffusion télévisée du monumental - et sous-estimé - Cléopâtre de Joseph L.Mankiewicz fut l'un des déclics qui m'incita à pister qui faisait quoi derrière ces images flamboyantes. Par la suite, les noms du réalisateur et de l'actrice à nouveau réunis attirèrent mon attention : il s'agissait de Soudain l'Ete Dernier. J'aurais pu être déconcerté par le gouffre séparant l'austère adaptation de Tennessee Williams de la fastueuse superproduction antique : cela m'éveilla au contraire à l'infinie diversité du 7e Art.
Plus tard, lors de la fréquentation assidue des ciné-clubs, il me semblait que son nom ne quittait jamais l'affiche bien longtemps : Qui a Peur de Virginia Wolf, Une Place au Soleil, Boom, Reflets dans un Œil d'Or, La Mégère Apprivoisée, Une Chatte sur un Toit Brûlant, Géant... me faisaient découvrir au passage Mike Nichols, George Stevens, Joseph Losey, John Huston, Richard Burton, Marlon Brando, Montgomery Clift et tant d'autres encore. De fil en aiguille, les pistes se croisaient, s'assemblaient pour tisser un formidable réseau d'affinités affectives et professionnelles qui ne devait rien au hasard : Elizabeth Taylor avait bel et bien construit une carrière d'une richesse et d'une diversité sans égale. Je n'allais jamais voir un film pour elle, mais parce que sa présence était plus que d'autres la promesse de nouvelles découvertes et un gage de qualité bien au-delà de sa propre prestation.
Car malgré ses 2 Oscars, Elizabeth Taylor n'était pas la meilleure actrice du monde. Hormis dans Qui a Peur de Virginia Wolf où elle était à la hauteur de son statut de superstar et surtout de son immense partenaire de mari Richard Burton - qui lui n'obtint jamais la récompense suprême -, il fallait au mieux se contenter d'un jeu correct à la technique parfois datée. L'essentiel de son talent tenait plutôt à ce charisme si particulier qui, à la ville comme à l'écran, pouvait transformer en quelques instants la classe incarnée en virago d'une effrayante vulgarité. Son regard fulgurant d'une rare intensité, sa voix haute perchée, son profil de médaille et sa silhouette plantureuse illustraient à merveille cette dualité aristocratique et animale qui fascinait tant de prestigieux cinéastes. Une force de caractère qui imprimait si bien la pellicule que personne ne songeait lui confier des rôles de ravissante idiote.
Enfant gâtée issue d'une famille aisée, coachée par une mère ex-actrice, la petite Liz connut très tôt la célébrité. À 10 ans elle tourna son premier film, à 12 rencontra un premier grand succès et atteignit définitivement le statut de superstar en 1956 avec Géant de George Stevens. Symbole du Hollywood des grands studios, elle fut aussi celui de leur chute et de la fin d'une discipline de fer qu'ils imposaient à leurs cheptels de comédiens sous contrats. Se moquant des codes moraux et des agents de com' qui orchestraient autant la carrière que la vie privée des stars, Elizabeth Taylor n'en fit qu'à sa tête durant toute sa vie. Cette volonté de s'émanciper de toute autorité morale fit d'elle l'une des premières vedettes à occuper les journaux autant pour sa carrière que pour sa vie privée : mariages à répétition, deuils, opérations multiples, passion du luxe, amitiés indéfectibles, contrats pharaoniques, excès divers, tout était proportionnel à l'idée que le public se faisait d'Hollywood et de son apologie de la démesure.
Première actrice à franchir le cap symbolique du million de dollars pour son rôle dans Cléôpatre, elle fut surtout une pionnière pour exiger un pouvoir croissant sur les films auxquels elle participait. Gérant au mieux sa notoriété, elle influa très tôt sur le casting, le choix du réalisateur ou l'orientation d'un projet à une époque où ce n'était guère l'usage. Il en résulta cette filmographie unique et incomparable à celles de la plupart de ses collègues féminines de l'époque.
Bien sûr, seuls ses proches surent quel être humain elle fut au-delà du glamour publicitaire enveloppant toute star de son envergure. Parmi les innombrables anecdotes à son sujet, l'une d'elles nous donne peut-être un indice sur sa personnalité : son grand ami Montgomery Clift eut un terrible accident de voiture au sortir d'une soirée donnée par la star. Elizabeth Taylor arriva la première sur les lieux du drame et découvrit son ami mourant, défiguré, la mâchoire éclatée. Elle lui sauva la vie en lui extirpant de la gorge ses propres dents qui l'étouffaient. Plus tard, Montgomery Clift lui offrit l'une de ces dents qu'elle fit monter en bijou et qu'elle porta longtemps. Rock'n roll !
Mais peu importent les ragots, le glamour, les frasques matrimoniales et même son combat exemplaire contre le SIDA dont elle fut, là encore, la première à relayer l'urgence en levant des dizaines de millions de dollars pour la recherche : c'est son incidence sur ma vie de cinéphile que je salue aujourd'hui à l'occasion de sa disparition. Nulle tristesse de pacotille ni pathétique compassion de fan énamouré, mais une juste reconnaissance envers une artiste qui, parmi d'autres, est à l'origine de ces pages et de la passion qui les anime encore aujourd'hui.
10 commentaires:
Jolie et classe éloge funèbre ! Je vais enfoncer des portes ouvertes, mais je crois aussi que l'après-guerre a favorisé à mort la montée de "monstres sacrés" (en littérature, c'est la même) : la combinaison "grosse personnalité qui n'en veut" et médias peu nombreux et tout puissants a fait des merveilles.
Quand j'étais petit, je voulais épouser Liz Taylor. Me voilà virtuellement veuf.
Reconnaissance que ne semblent pas avoir les USA, dommage...
@Rapide Sherpa : Merci ! ^^
Et tu prêches un convaincu à propos de ta porte ouverte. On peut étendre ça à la musique aussi me semble-t-il... On accuse beaucoup les médias de favoriser des "coups" aujourd'hui, comme si ce n'était pas le cas à l'époque.
@Phllox : Condoléances.
@Mo5kau : Ah bon ? Je n'ai pas suivi. Je ne connais pas du tout son statut là-bas.
En même temps là c'est un cas particulier et personnel, de manière générale je ne supporte assez mal les nécros et autres pleureuses de stars défuntes ^^.
Je n'en ferai que 2 dans ma vie, celle-ci était la première.
Mince, le suspense est à son comble !... ;) Vu la fin de "Qui a peur de Virginia Woolf" hier soir et pensé à ta nécro. C'est exactement ça, un charisme et une concentration des moyens full force. Mais un jeu un peu "à côté" (enfin, j'ai pas vu le film en entier non plus, hein)...
Ben à part dans la première scène où elle en fait des caisses quand il ne faut pas, je trouve le reste globalement vachement bien. Forcement face à MIGHTY Richard Burton, tout le monde paraît toujours un cran en dessous. Mais je trouve qu'avec en plus une réalisation gonflée, ça cartonne bien. Faut dire que j'aime le film lui-même ça aide. ^^
Cela dit je ne sais pas si tu as vu la scène du dancing vide (ultra glauque), mais les derniers moments où elle raconte le roman, juste avant qu'il tente de l'étrangler, les répliques "no sir it's not a novel at all, it's really happened to me" là je trouve qu'on touche à un moment de grâce, tout y est, tout est parfait. Mais c'est un tout :le texte, la mise en scène, et eux deux.
En même temps il y a une progression dans le film. C'est quand même l'histoire d'une escalade ultime, l'affrontement d'une vie, forcement ça déborde, ça se devait d'être limite. Pris par petits bouts déconnectés de l'ensemble, ça ne peut faire qu'un peu too much.
Ah, oui, j'ai vu que la scène de fin, où ça pleure. Mais Mighty Richard, en effet, même sur ces 5 minutes-là. Bon, ce que tu en dis donne envie en tout cas. Nouvelle mission : trouver le DVD !
Je découvre ce blog à travers cet éloge et, c'est con à dire, mais j'ai l’œil humide ... Mois aussi j'ai été éperdument amoureux de Cléopâtre quand j'avais 11 ou 12 ans (avant elle c'était Judy Garland). Je ne sais pas si c'est moi qui ai beaucoup vieilli ou le cinéma, mais la magie des films de cette époque est malheureusement révolue.
Bienvenue Toilissime.
Heureux d'avoir su t'émouvoir.
Cela dit je n'ai jamais été amoureux d'une star de cinéma. ;)
Plus largement, la disparition d'une "star" ne m'a jamais touché émotionnellement, même lorsque j'apprécie son travail. On peut saluer un parcours, admirer une performance ou analyser une carrière sans perdre de vue qu'il s'agit avant tout de professionnels et surtout d'inconnus. ;) A bientôt ! :)
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