Il est des exploits qui frisent l’intervention divine et la chose magique. Foirer à ce point un remake de ce genre, il fallait de la ténacité et de l’ambition : Louis Leterrier l’a fait. Cet homme n’a peur de rien, on le savait depuis son redoutable Hulk. Mais il démontre aujourd’hui qu’il ne s’agissait pas d’un accident de parcours lié à un personnage ingrat. Non, Louis Leterrier tient le cap afin de rejoindre Michael Bay au panthéon des plus mauvais réalisateurs de blockbusters et au-delà. Et il y parvient avec une aisance remarquable.
Pourtant l’affaire s’annonçait bien moins risquée que l’adaptation du géant vert : il s’agissait de redonner du tonus et un coup de lustre à un Choc des Titans de 1981 charmant et réussi mais déjà passablement vieillot à l’époque. Film d’aventure construit tout entier autour d'effets spéciaux - comme toutes les productions du tandem Schneer/Harryhausen depuis 1955 -, Le Choc des Titans touille plusieurs mythes docilement mis en images par Desmond Davis, yesman de l’époque qui se borne à filmer les intermèdes entre chaque morceau de bravoure d’un Ray Harryhausen en fin de carrière. C'est léger, simple, bon enfant. Bref, on est assez loin de Citizen Kane.
Nulle révérence excessive donc, ni hurlement au sacrilège de ma part pour oser profaner un "classique" : tout en étant très attaché à l’original, l’annonce de ce remake m’enthousiasmait. Le projet annonçait en effet le retour de l’aventure mythologique tout en s’attaquant à l’un de ses meilleurs représentants dont la remise au goût du jour était prometteuse, pour ne pas dire "facile". Mieux : les dieux semblent même se pencher un temps sur le projet puisque c’est Lawrence Kasdan qui était chargé du premier scénario tandis que les producteurs clamaient leur admiration du Gladiator de Ridley Scott. Ma foi, on a vu pires augures.
Et puis soudain, tout bascule comme disent les journalistes. Exit Lawrence Kasdan, arrivée de Louis Leterrier. L’enthousiasme en prend un coup mais je croise les doigts. Après tout, on l’a vu, l’original était aussi un film de producteurs. L’irruption d’une bande-annonce tonique en diable me rend même confiant. Il y a bien ce Zeus chevelu et illuminé façon disco qui inquiète un peu mais le laser enfumé derrière un Laurence Olivier épuisé n’échappait pas non plus au kitch dès 1981.
Las, la découverte du film lui-même se situe au-delà d’une simple déception. Durant 2 heures, Letterier collectionne méthodiquement les bourdes. Là où l’histoire originale est fluide et limpide, tout est ici bancal et inutilement confus. En prétendant ajouter des éléments, le film ne fait que se perdre toujours un peu plus dans les méandres de motivations fumeuses. Motivations dont il faut en permanence expliquer les tenants à coup d’introduction récitée et de péripéties racontées à postériori. Plus grave : en éliminant la scène d’ouverture de l’original, il sacrifie un élément spectaculaire décisif qui du même coup prive le spectateur d'un aperçu de la menace censée planer ensuite durant tout le film. D'un point de vue narratif c'est du suicide. Le déroulement de la quête est du même niveau, accumulant les épreuves de façon désordonnée dans un fatras de scènes disparates s’entrechoquant sans aucune unité si ce n’est celle d’être très mal filmées et photographiées.
Côté comédiens, c’est un jeu de massacre. Qu’ils soient inconnus, confirmés ou prestigieux, tous se vautrent à chaque instant, démontrant, comme c’était déjà le cas dans Hulk, que le problème se situe bien derrière la caméra. Sam Worthington, déjà falot dans Avatar et Terminator Salvation, sublime encore son jeu limité et son absence totale de charisme. Mais soyons honnêtes, son prédécesseur ne brillait guère par sa présence et son talent, sa sélection étant due surtout à son statut d’amant d’Ursula Andress retenue alors pour incarner la déesse Aphrodite.
Liam Neeson, déjà rompu à l’exercice depuis La Menace Fantôme, limite les dégâts et en fait le moins possible. Malheureusement Ralph Fiennes n’a pas cette chance : son rôle d’Hadès étant plus "consistant" que celui de Zeus, l’occasion lui est donnée de se ridiculiser à plusieurs reprises. Affublé d’un maquillage de train fantôme, d’une posture hasardeuse, d’une voix enrouée et de dialogues insipides, on a la tentation de détourner le regard, submergé par l’embarras. Tous les autres seconds rôles sont transparents, inadaptés ou en font des caisses, maniant un humour à mi-chemin entre Taxi et Transformers. C'est dire si on rit.
Le festival de mauvais goût qui tient lieux de choix esthétiques n'arrange rien. Mais est-ce bien surprenant de la part d’un réalisateur se réclamant des Chevaliers du Zodiaque ? Outre l'Olympe plutôt moche, c'est une succession de postiches miteux et de maquillages à la truelle qui rappellent les inénarrables téléfilms italiens type La Caverne de la Rose d'Or. Une mention pour les Djinns, subtils mélanges d’Hommes-des-Sables et de Transformers en bois affublés d’yeux lumineux. S'ajoute à cela un Calibos aux allures de mutant radioactif échappé de La Colline à des Yeux tandis que la Méduse en toc semble extraite de l’affreux Beowulf 3D de Zemeckis. Reste le Kraken qui s’en tire plutôt bien, il est bien le seul. Scènes d’action illisibles, cadrages je m'en foutistes, décors artificiels et effets spéciaux ternes complètent le tableau.
On a trop souvent tendance à sous estimer la difficulté de réaliser convenablement un film de ce type, en pensant à tort que n’importe qui fait l’affaire, que ce n’est qu’une question d’argent, d’effets spéciaux. À la vision de cette purge, on se rend compte combien l’entreprise est hasardeuse, en équilibre entre d'innombrables choix artistiques pouvant, à chaque instant, faire sombrer le film tout entier. Et contrairement aux idées reçues, ces choix sont souvent ceux du réalisateur en titre. En archétype du cinéaste indigent incapable même de copier son modèle, Leterrier nous offre là un bêtisier du gros film, et plus largement une sorte "d'anti leçon" de cinéma. Car loin du simple remake raté ou de la superproduction impersonnelle, Le Choc des Titans 2010 est avant tout un film effroyable, à la fois horriblement mal écrit et dirigé, sans aucun atout, même pas celui d’être involontairement drôle. A fuir.
12 commentaires:
Une purge indicible, rater un sujet en or à ce point, c'est du sabotage pur et simple !
Oui, quel manque du plus élémentaire talent ! Ce gars n'est même pas un yesman : il ne se contente pas d'exécuter une commande, il la détruit.
Ah... ben je n'irai peut-être pas le voir finalement...
Je décourage rarement d'aller voir un film, mais là je me sens investi d'une certaine "responsablité"... ^^
C'est rigolo, mais j'ai plutôt aimé, justement, ce côté royalement bancal. Bon, le film est mauvais, hein, y a pas à tortiller, mais son habillage, les effets spéciaux cheap, les monstres modernisés mais qui reprennent des designs ultra rabâchés (ça pue la japonaiserie, mais bon, "chevaliers du zodiaque" hein), les mauvais décors, ça m'a paru volontaire. Un peu comme si le but était "juste" de refaire une kitscherie, "tout pareil, mais en même", 30 ans plus tard.
C'est facile et même assez malhonnête, dans l'idée, mais ça m'a fait marrer... Bon, en même temps, j'avais pas payé ma place, ça joue peut-être...
Bienvenue Yan :)
Hmmm l'argument du "fait exprès" à posteriori quand on livre une daube de cette envergure, ça n'a jamais trop fonctionné sur moi. ^^
En particulier dans cas précis où je suis convaincu qu'il s'agit d'absence totale du plus élémentaire talent de cinéaste. Car la kitscherie n'est qu'un aspect du problème me semble-t-il. D'ailleurs il s'agit davantage de laideur qu'autre chose.
Si vraiment il avait voulu faire "tout pareil", il se serait contenté de reprendre aussi le déroulement de l'histoire non ?
Et puis il aurait dû rater le kraken comme dans l'original, or c'est à peu près la seule chose réussie du film. :D
Non, on voit bien que Mr Leterrier a des velléités "d'auteur", enfin tout au moins le désir d'imprimer sa marque, ses "influences" même là où c'était inutile, voire nuisible. Il y parvient d'ailleurs fort bien puisque désormais, sur deux films, je serais capable de reconnaître son ahem, "style" rien qu'à sa faculté à ridiculiser d'excellents comédiens. ^^
Leterrier est assez coutumier du remake "où il essaie de mettre sa patte", en plus. C'est quand même le mec derrière les Transporteurs...
Ceci étant, j'ai pas l'impression, d'après les quelques interviews que j'ai lu du bonhomme, qu'il soit pour grand chose dans le scénario inutilement simplifié. Vraisemblablement c'est la production qui voulait un méchant unique bien identifiable et que le machin se résume à une lutte d'influence ente Zeus et Hadès (j'y vois surtout un duel Dieu/Diable bien puritain, mais après, c'est l'amérique, hein...)
Les monstres et compagnie, ça pue l'optique de "fan" à des kilomètres : il a mis des scorpions géants de partout, il a fait un grooooos kraken, il a fait une petite blagounette sur la chouette mécanique... Les Djinns et ce genre d'ajouts, c'est pour la touche "culturelle", ça fait film d'aventure des 80's. Perso, les phases à dos de scorpions et le groupe qui perd/gagne des éléments au fil du truc, ça m'a rappelé Conan. Partant de là, je ne pouvais effectivement voir ce film que comme un nanar "habilement" déguisé derrière des monstres en CGI.
En fait, Le Choc des Titans 2010 me donne l'impression d'un fan-movie avec un budget démesuré et une production très très frileuse qui s'est contenté d'adapter le machin à la cible adolescente d'aujourd'hui. C'est du cinéma fast-food.
Après, oui, on peut lui prêter toutes les intentions du monde, ça n'enlève pas le fait que Leterrier est incapable de faire un bon film (quoique j'aie pas trouvé son Hulk dégueulasse) et que ce Choc des Titans 2010 soit mauvais.
Mais j'ai surtout l'impression que l'image extrêmement négative qu'on a de ce film, c'est essentiellement parce qu'on connait l'original, et que Leterrier a trouvé le moyen de le rendre encore plus ridicule, et pas seulement à causes des effets spéciaux datés (c'est même justement l'inverse). Au mieux, ça m'a donné envie de revoir les monstres en carton d'Harryhausen.
Note que c'est justement le fait que tu te défendes de cette optique "je crache dessus parce que je suis fan du 1er" qui m'a donné envie de te faire part de mon avis ;)
Merci de partager ton point de vue ;)
Oui la posture de principe anti remake m'exaspère assez. Que l'on aime l'original ou pas importe peu d'ailleurs. C'est pour moi le degré zéro de l'esprit critique et de l'argumentation. A la limite même pas besoin de voir le film, c'est forcement mauvais. Surtout si l'original a été venu étant gosse évidemment. ^^
Comme une sorte de critique pavlovienne, un truc comme ça ^^
Bon il faut bien admettre que ce Choc là ne sert pas la cause :D
Sinon, je ne trouve pas que le scénar soit simplifié justement. Ils ont rajouté des trucs et des machins inutiles qui rendent le tout cafouilleux. Les personnages ne sont pas aussi simples.
Dans l'original, il y a une méchante, Calibos est son fils, elle veut se venger sur le fils de Zeus, point final. Là c'est le bordel entre Hadès et tout le background qu'il faut du coup expliquer dans le prologue, Calibos qu'il faut justifier aussi de A à Z, le père pêcheur inutile, le prophète dans la cité qui ne sert à rien, le roi d'Argos, les comparses etc... Tout ça à la truelle en plus. Non c'est nettement plus "compliqué". Ils auraient mieux fait de s'en tenir à la limpidité originale, non parce qu'elle est originale, mais parce qu'elle est limpide ^^
C'est vrai que j'avais totalement éclipsé ces trucs là, Calibos, le prophète, le roi.... En même temps, ils n'ont d'utilité que pour montrer à quel point Hades il est méchant, bouh, c'est lui le vilain. Du moins c'est ce que j'ai ressenti. Mais c'est pas fait pour rendre le récit plus fluide, effectivement...
Le pire, c'est qu'une telle critique donne envie de voir le film (en DVD, hein, location pas cher) juste pour vérifier ce qui est si bien flingué. Ah oui, merci !
Découvert récemment : c'est bel et bien la purge que tu décris avec fougue (qui me rappelle ma chronique de Twilight 3, la joyeuseté de l'écrit du ratage). J'aurais tant aimé l'aimer... mais non.
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